Comment contribuer à une bascule socio-écologique quand on est étudiant·es, minoritaires et de passage ?

L'organisation universitaire et la structure des semestres d'études limitent l'ancrage territorial des étudiant·es et complexifient les projets structurants au long cours. A Compiègne, des étudiant·es ont mis en place des alliances avec les enseignant·es chercheur·euses pour transformer les formations et avec des collectifs locaux pour amplifier les luttes du territoire. 
Illustration des alliances locales lors de la fête de l’eau, qui s’est tenue du 17 au 20 mai 2025 à Compiègne
Les soulèvements de la terre

Dans la lignée des manifs climat et du manifeste pour un réveil écologique, des étudiant·es de l'UTC ont créé, fin 2019, le collectif UT Transformation pour engager la bascule des formations. Ce mouvement a d'abord intégré le CEVU lors des élections universitaires avant de s'allier avec des enseignant·es-chercheur·euses déjà mobilisé·es par les questions écologiques, en créant le Collectif pour l'Ingénierie Soute-nable (CIS).

Le point fort de l'activité du CIS a concerné le déploiement, à l'UTC, de la thématique de la lowtechisation, introduite par quelques étudiant·es du collectif soucieux·ses de proposer une nouvelle vision de l'ingénierie et de la technique. Cette approche a donné lieu à des dissensus importants et même à des "dialogues de sourd·es" (au sens de Kuhn) entre le CIS et une bonne partie des enseignant·es-chercheur·euses de l'UTC et de la direction – celles-ci estimant que la low-tech venait menacer la raison d'être elle-même de l'Université. Du point de vue du CIS, au contraire, l'enjeu était bien de renouveler la place de la technique dans une université de technologie.

En dépit de cette controverse – aujourd'hui toujours présente –, ce travail collectif sur la lowtechisation a donné lieu, sur le plan de la formation, au lancement (en septembre 2021) du label Ingénierie Soutenable, dont la lowtechisation est un pilier, puis, sur le plan de la recherche et des projets, au lancement (en décembre 2022) du Collectif Lowtech (CLT). Un cours sur les enjeux écologiques, co-construit avec des étudiant·es, est aujourd'hui obligatoire pour toutes les premières années et les enseignant·es volontaires travaillent avec des étudiant·es dans des enseignements dédiées spécifiquement à la transformation écologique de leur propre enseignement.

Si les étudiant·es ont lié des alliances fécondes avec les enseignant·es à l'intérieur de l'UTC, iels se sont aussi intégré·e dans des structures de luttes locales. Au printemps 2023, la lutte contre la réforme des retraites pousse la création d’un syndicat de lutte à l’UTC, Solidaires étudiant·es Compiègne, qui noue des liens aussi bien avec les syndicats de travailleur·euses qu’avec des lycéen·nes mobilisé·es sur des luttes féministes. En parallèle, émerge une petite opposition très locale face au projet du Canal Seine-Nord Europe (CSNE), qui prend sa source au pied du campus Benjamin Franklin de l’UTC. Ce projet, long de 107 km et façonné pour la logistique mondialisée, détruit aussi bien les écosystèmes que des tissus socio-économiques nécessaires à une bascule socio-écologique du territoire (terres agricoles, batellerie artisanale, etc.).

Des étudiant·es s’emparent alors du sujet, créent le collectif Stop Canal UTC et réclament la fin du partenariat entre la société du CSNE et l’université. La contestation étudiante irrigue ensuite les structures de lutte du territoire en s’impliquant notamment dans le collectif Méga Canal Non Merci et dans un comité local des Soulèvements de la Terre. Y confluent des militant·es de tous horizons, aux expériences militantes et moyens d’action hétérogènes. Si les cultures militantes peuvent parfois être conflictuelles, notamment entre des générations d’activisme aux pratiques différentes, s’allier et composer avec des corps sociaux différents s’avère indispensable lorsqu’on lutte contre l’un des plus grands projets d’aménagement contemporain.

Finalement, les alliances convergent avec le projet du « canalternatif ». Consistant à armer l'argumentaire critique contre le projet du CSNE grâce à des travaux d'étudiant·es supervisés par les professeur·es, celui-ci œuvre ainsi pour un futur souhaitable et co-construit sur le territoire.

11 juin 2025
Margaux Lainé et Renaud Pouzet, étudiant-es à l’UTC, Hugues Choplin, enseignant-chercheur en philosophie à l’UTC
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