Manifeste pour une formation citoyenne des agronomes

En 2014, Ingénieur·es Sans Frontières a écrit son Manifeste pour une formation citoyenne des ingénieur·es. Ce Manifeste remet en cause la capacité des formations en ingénierie en France à engendrer des professionnel·les capables de mettre collectivement leurs aptitudes au service d’une société démocratique pour plus de justice sociale et environnementale.
Une transformation sociale dans le mauvais sens ?
Une transformation sociale dans le mauvais sens ?
© Perrine Grosjean

Présentation vidéo du manifeste >ICI<

 

Nous, membres du groupe thématique Agricultures et souveraineté alimentaire d'Ingénieur·es sans frontières, pensons que les proposition du Manifeste pour une formation citoyenne des ingénieur·es sont à appliquer dès aujourd’hui dans l’enseignement de l’agronomie. En complément, nous avons souhaité détailler certaines orientations spécifiques aux enjeux agricoles et alimentaires qui nous paraissent indispensables pour former des agronomes à même de faire face à ces enjeux.

Pourquoi un Manifeste pour une formation citoyenne des agronomes ?

  • Des enjeux spécifiques au monde agricole et alimentaire

L’insécurité alimentaire modérée ou grave touche 2 milliards d’êtres humains alors que l’agriculture mondiale produit assez de nourriture pour nourrir bien plus que l’humanité.

Le système alimentaire agro-industriel structure une agriculture qui a pour objectif la rentabilité du capital et non l’alimentation. Cette agriculture exploite de manière extractiviste les ressources naturelles vivantes, hydriques et minérales et rejette des déchets plastiques, des gaz à effet de serre ou encore des résidus de produits chimiques. Tout cela a pour conséquences la pollution des sols, de l’eau et de l’air, la perte de fertilité des sols, la simplification des paysages et la destruction des habitats d’espèces sauvages. Cette agriculture participe donc à la 6ème extinction de masse de la biodiversité, contribue au changement climatique et menace de crises sanitaires des populations entières.

  • Des spécificités des écoles d’agronomie qui se perdent dans les restructurations actuelles

L’agronomie est aujourd’hui en France majoritairement enseignée dans des écoles d’ingénieur·es, rattachées pour la plupart au ministère de l'Agriculture. Elles disposent de moyens pour former correctement leurs étudiant·es et les enseignements sont généralement de bonne qualité, dispensés par des professeur·es reconnu·es et interdisciplinaires. Malheureusement, tout ce potentiel n’est pas mis au service d’une transformation du modèle agricole et alimentaire et la dynamique actuelle d’évolution des formations en agronomie n’est pas à la hauteur, voire est à l’opposé, des enjeux précédemment cités.

La proximité entre les écoles, les groupes agro-industriels et les industries agro-alimentaires est institutionnalisée. Le principal objectif des écoles est l’employabilité des étudiant·es diplômé·es ce qui nécessite un formatage des savoir-être et savoir-faire au besoin industriel et empêche toute modification importante des formations dans le sens de modèles agricoles plus respectueux des équilibres socio-territoriaux et écologiques.

 

Une nécessité : ROMPRE AVEC LA LOGIQUE INDUSTRIELLE QUI VEROUILLE LE CHANGEMENT

Ce que nous ne voulons plus

  • Le réductionnisme scientifique qui empêche la prise en compte de la triple nature de l’agronomie.

Les paysan·nes et l’environnement sont encore trop souvent considéré·es comme des variables d’ajustement. Les nouvelles technologies et la compétitivité ne sont plus des moyens d’améliorer nos modèles agricoles mais la fin.

  • La hiérarchisation du monde agricole qui empêche la socialisation des pratiques de l’agronome.

Le monde de l’agronomie a été structuré de façon très pyramidale avec des chercheur·es dépositaires du savoir scientifique, des ingénieur·es formé·es par la recherche pour l’application de ces savoirs dans le monde agricole, aidé·es par des technicien·nes pour conseiller directement des paysan·nes.

  • La vision agricolo-agricole enseignée qui empêche une approche de l’agriculture par système alimentaire.

Les agronomes sont encore trop souvent formé·es à « nourrir le monde » plutôt qu’à « nourrir tout le monde ». L’agronome doit être au service de la démocratie alimentaire, c’est-à-dire d’un pilotage des systèmes alimentaires par leur finalité (produire ce que la population souhaite manger) et non par les intérêts des acteur·rices économiques présent·es sur le terrain comme c’est le cas aujourd’hui.

  • Des enseignements coupés de leurs contextes épistémologique et social qui nuisent à la compréhension du fonctionnement de la société.

Il n’est pas possible de former des agronomes enclin·es à faire bénéficier l’intérêt général de leurs travaux si celleux-ci ne sont pas formé·es à l'épistémologie, à l'histoire de la construction des données avec lesquelles ielles travaillent, qu'elles soient scientifiques, politiques, institutionnelles, juridiques ainsi que l'état des lieux des rapports de force en présence.

 

Un horizon : EMANCIPER L’AGRONOME DE SON RÔLE DE CADRE DU SYSTÈME INDUSTRIEL

Ce que nous voulons

  • De l’animation

L’agriculture se construit en groupe, dans l’échange et le partage d’expériences. L’animation de groupe s’apprend, se travaille et se perfectionne.

  • De l’accompagnement

L’agronome est un·e médiateur·rice entre l’accompagné·e et son environnement et s’adapte en permanence au besoin de l’accompagné·e pour l’aider à construire son autonomie dans les situations qu’il·elle rencontre et à définir là où ielle veut aller.

  • De la recherche participative et de la coopération des savoirs entre paysan·nes et scientifiques

Les défis actuels nécessitent un véritable dialogue entre les savoirs des paysan·nes et ceux du monde académique afin de construire et de proposer de nouvelles pratiques agroécologiques adaptées aux agroécosystèmes locaux.

  • De la transdisciplinarité et de l’ouverture sur la société

Une approche agronomique systémique et projective, prenant en considération les enjeux territoriaux aux différentes échelles grâce aux apports d’autres disciplines. Un dialogue avec la société civile et ses diverses organisations politiques afin de construire des systèmes alimentaires durables.

  • De l’éthique professionnelle

Une formation qui apprend à détecter les pratiques moralement problématiques du monde du travail, pour les dénoncer tout en se protégeant juridiquement et psychologiquement.

  • L’apprentissage de l’accueil de ses émotions, de l’écoute de son corps

Une approche qui permet de connaître le fonctionnement des émotions et les messages qu’elles nous apportent. Contrairement aux approches de type « développement personnel », cela doit nous amener à partager nos affects négatifs pour construire collectivement un monde qui ne les produise plus au lieu de les intérioriser.

 

Un choix politique fort doit lancer une nouvelle mutation de la formation agricole et agronomique pour construire et accompagner des modèles agricoles capables de répondre aux défis de notre époque. Il n’est pas trop tard mais il devient urgent de former des agronomes capables de transformer la société par l’utilisation critique de la technique et dans le respect des paysan·nes et des écosystèmes.

 

5 octobre 2020
Vivien Bourgeon
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Groupe ISF