Une immersion complète pour une transformation radicale des étudiant.e.s ?
Sous une pluie battante, les corps se réveillent, encore engourdis de la nuit. Les bouillottes sont encore tièdes, pour faire face au froid dans ce grand château où la sobriété est de mise. Les petites têtes apparaissent dans le réfectoire pour prendre un petit déjeuner réconfortant et retrouver ses camarades avant de partir en salle de formation.
Nous sommes au Campus de la Transition, un écolieu de formation et d’expérimentation où se succèdent depuis 2019 des étudiant·es en école d’ingé, business, design, … mais aussi des enseignant·es-chercheur·euses, des fonctionnaires territoriaux, des équipes de direction, …
Fondé à partir du constat que la transformation de l’enseignement supérieur est trop lente et pas assez profonde, sur la base d’un travail de recherche de 70 enseignant·es-chercheur·euses, le Campus adopte une posture radicale mais non marginale pour faire bouger l’ensemble des acteur·ices du supérieur.
Actuellement en service civique au sein de l’équipe formation, j’ai pu voir de l’intérieur comment la pédagogie du Campus impacte les personnes qui le traversent. Je connaissais leurs travaux depuis mon investissement au sein de l’évolution de la formation de l’INSA Lyon, mais je ne connaissais pas la partie immersive.
A partir de témoignages et d’observations, je souhaite te partager ma vision de l’expérience au Campus et la force qu’il peut avoir sur la transformation des étudiant·es et jeunes ingé·es.
Différents cadres, pour différentes expériences
Quand on est étudiant.e, on peut y venir dans différents cadres :
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en tant que participant·e d’une formation dans le cadre d’un module d’enseignement - entre 1 et 3 jours
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en tant que Bénévole Court Terme (BCT) - entre 1 et 6 semaines
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en tant que Volontaire en Service Civique (VSC) - 6 à 8 mois
Les profils sont assez variés, avec des personnes qui ont des appétences diverses, des portes d’entrées sur les enjeux socio-écologiques différentes, des niveaux de connaissances et d’engagement allant du climato-negationniste à la militante encartée.
Dans tous les cas, j’ai pu ressentir et vivre des moments très touchants avec les étudiant·es que j’aimerais te partager, et peut-être que cela inspirera des initiatives pour aider à s’engager et transformer le monde ?
Et ça ressemble à quoi un passage au Campus ?
Lors de leurs formations, les étudiant·es sont d’abord accueillis avec une visite de l’écolieu, son histoire, l’association, le jardin, le compost, les low-tech et expérimentations, etc. Nous leur proposons ensuite une « pose du cadre » pour un Espace d’Apprentissage Commun que nous travaillerons tout au long du séjour (cultiver le débat, écoute active et bienveillante, situer son propos, co-responsabilité, veiller au partage de la parole).
Puis, iels traversent des moments réflexifs et intuitifs avec un atelier des 6 portes, qui vise à les interroger sur l’état des lieux/le diagnostic de nos sociétés (Oikos) ; les valeurs pour une société désirable et de la justice sociale (Ethos) ; la gouvernance, les indicateurs, la mesure (Nomos) ; les imaginaires, le vocabulaire, les cultures (Logos) ; les formes d’actions (Praxis) ; leur relation au vivant, aux autres, à soi, à plus grand que soi (Dynamis). Iels mettent aussi les mains dans la terre en participant à des chantiers participatifs au potager (récolte, plantation, désherbage, semis, ramassage de feuilles, de bois, …). Et tout les matins, nous organisons des « mots du matin », qui invitent à ritualiser un temps d’entrée collective dans la journée, pour prendre soin les un·es des autres, en écoute active.
Mais la plus grande force du Campus, c’est probablement la porosité qui existe avec les habitant·es et le mode de vie sur place. Nous vivons avec les étudiant·es, les côtoyons au fil des journées et soirées, partageons nos valeurs et engagements avec authenticité, écoutons leurs questionnements, leurs intérêts… Et c’est également un espace propice pour se connaître entre ell·eux, tisser des liens plus forts, nouer des relations de coopération et de solidarité.
Bon, et tu te doutes qu’en tant que BCT ou VSC, c’est encore plus intense car tu passes beaucoup plus de temps immergé·e dans le collectif, et tu es considéré.e Campusien·ne. D’ailleurs, j’ai pu échanger avec deux filles de l’INSA Lyon (qui sont passées en tant que VSC et BCT et formation longue au T-Campus) afin de recueillir leur témoignage.
Comment se manifestent les transformations ?
Pour ces deux personnes, je leur ai posé des questions sur leur situation avant le passage au Campus, comment iels qualifiaient leur engagement, puis ce que leur a apporté le lieu par rapport à leur engagement ou en lien avec d’autres aspects et quelles sont les caractéristiques qui ont favorisé cet épanouissement/évolution/transformation.
Au début, elles se considéraient plutôt renseignées ou sensibles aux enjeux socio-écologiques, en questionnement et en difficulté face au futur qui se rapprochait avec la fin du cursus ingé… mais pas particulièrement engagées. Toutes les deux ont donc fait une césure durant laquelle elles sont passées au Campus.
Les premières semaines sont souvent très intenses et overwhelming, à découvrir 1000 choses, rencontrer plein de gens, commencer à faire son bénévolat… « Je me suis sentie hyper accueillie et en même temps perdue » me relate l’une d’elle – ou encore « Quand je disais quelque chose, c’était joyeusement écouté et accepté, sans jugement ». Cependant, il existe parfois un sentiment de malaise, de décalage en coexistant avec tout ce milieu qui a l’air de s’engager énormément, d’être hyper aligné entre les valeurs et les actions.
Mais le temps fait alors son travail, en digérant petit à petit ce qui se passe, toujours dans un climat de bienveillance, prenant soin d’éviter les écueils de la pureté militante, pour arriver ainsi à trouver sa place et se sentir légitime.
Après quelques semaines ou mois, les transformations sont variées et importantes dans la vie de tous les jours : développement d’une vision plus systémique des enjeux pour aller plus loin que le climat ; apprentissage de régulation de situations compliquées, comment travailler ensemble ; comprendre qu’il ne s’agit pas de « sauver la planète » mais plutôt « comment mieux vivre ensemble, ne pas s’arrêter aux petits gestes – faire collectif ». Elles ont trouvé un élan, une envie de s’engager : visiter d’autres écolieux, voyager à vélo, faire du militantisme, … les mots sont plus précis, les volontés plus claires, la sensation d’incarner le changement, les actions suivent les réflexions plus facilement avec une première manif’ à la rentrée de septembre, etc.
Pour les étudiant·es en formation, les retours en fin de séjour sont toujours très riches et touchants dont en voici un petit florilège :
"Une simplicité retrouvée, une cohésion renforcée pour le groupe et des nouveaux liens créés, de la convivialité, et des graines plantées qui favorisent un questionnement sur le mode de vie et le rapport au travail ; beaucoup ont parlé de prise de conscience, de déclic ou d'apprentissage, de cohésion et de liens ; une expérience passionnante, enrichissante et profondément libératrice ; nous repartons inspirés et motivés, avec plein de souvenirs et d’enseignements précieux ; l'atelier permaculture, qui donne envie de changer de vie, d'avoir un petit jardin ; espoir, convivialité, connexion ; ce genre d'écolieu montre que quand il y aura la décroissance, ce sera pas si terrible".
Finalement, c’est quoi la clé ?
De tous les échanges que j’ai pu avoir, la clé selon moi c’est l’amour que se portent les Campusien·nes, la générosité que l’on peut partager pour les personnes qui viennent, l’envie de faire en sorte qu’iels passent un bon moment, agréable bien que différent de leur quotidien. On peut passer des moments de fun, de ressenti, de faiblesse ; mais on se concentre sur ce qui est à un moment donné. C’est un peu comme faire de la pleine conscience… sur tout un lieu ! On est assez isolé·es donc on n’est pas perturbé·es par plein d’autres stimulis, d’autres distractions extérieures.
Alors prends soin de toi, prend soin des personnes avec qui tu passes du temps, prend soin du vivant, remplis-toi d’amour pour le monde, prend l’espace pour exprimer ta colère, ta tristesse, tes doutes… et chemine pas à pas, avec les autres, tisse ces liens sur lesquels tu pourras t’appuyer dans ta quête de sens et de transformation ;)
Paul Saada

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