Qu’est-ce qui autorise les élèves-ingénieur·es à rêver d’écologie dans leur travail ?

Dans le cadre d’une recherche participative réalisée par l’Observatoire des Formations Citoyennes (OFC) dans deux écoles d’ingénieur·es, nous étudions comment les élèves-ingénieur·es développent le souhait d’agir sur la situation socio-écologique actuelle à travers leur métier – ce que nous appelons les aspirations professionnelles écologiques (APE).
Schéma
Loïc Vaïarello, graphiste

Les formations d’ingénieur·es sont-elles en train de changer durablement ? C’est en tout cas ce que l’on pourrait croire en voyant les demandes institutionnelles de la CTI1 ou du ministère2 et la mise en place d’enseignements dédiés sur les « transitions » dans les écoles. Mais ces évolutions sont-elles suffisantes pour que les élèves aient envie de s’engager professionnellement sur ces enjeux ?

Pour creuser cette question, l’Observatoire des Formations Citoyennes a mené une étude participative au sein de deux écoles d’ingénieur généralistes française3. Durant l’année 2023, avec l’aide de 80 étudiant·es et deux enseignantes-chercheuses du laboratoire Formation et apprentissages professionnels, l’OFC s’est entretenu avec plus de 80 élèves, ingénieur·es, enseignant·es et personnels en charge de l’orientation. Cela, dans le but de comprendre comment les élèves développent ou non le souhait d’agir professionnellement face à l’urgence écologique. Ce souhait, que nous appelons « aspirations professionnelles écologiques » (APE), n’est pas inné, il se construit durant la formation ou une fois diplômé·e.

Nous avons découvert que les programmes de formation participent peu au développement d’APE, ce qui montre encore le travail à faire par les écoles sur ce sujet. A l’heure actuelle, ce sont majoritairement les actions des autres étudiant·es qui sont déterminantes. Nous avons identifié plusieurs facteurs d’influence communs aux étudiant·es ayant développé des APE. Nous en détaillons deux ici4 :

  1. La présence de « passeur·euse » dans son cercle social proche : les élèves ont décrit en quoi des ami·es leur ont permis de s’informer sur les sujets écologiques et de trouver de nouvelles sources d’informations. Ces « passeur·euses » ont déjà développé des aspirations professionnelles écologiques et montrent les interconnexions entre différents enjeux, jusque-là dissociés (l’impact du changement climatique sur des populations vulnérables, par exemple). Iels mènent également ces personnes vers de nouveaux espaces (associations ou collectifs militants) permettant de s’approprier les enjeux au prisme de leur futur métier. Iels favorisent ainsi la naissance de premières APE.

  2. La présence d’associations ou de groupes engagés dans les écoles : les actions menées par les associations et la légitimation de nouvelles pratiques d’ingénierie renforcent voire reconfigurent les APE avec une dimension sociale et politique. Par exemple, une étudiante rencontrée, après y avoir été invitée par des ami·es, s’inscrit à une formation sur les enjeux écologiques organisée par une association d’ancien·nes élèves. Elle y découvre alors de nouvelles trajectoires possibles d’ingénieur·es via des « témoignages hyper inspirants de gens qui s’étaient engagé·es, soit dans le privé, dans le public ou dans des assos, ou qui avaient monté leur propre projet, des trucs comme ça. » (Claire, ingénieure diplômée en 2019). Ses aspirations professionnelles évoluent. Son souhait initial de travailler dans le secteur éolien ne lui semble plus à la hauteur des enjeux. Elle souhaite désormais travailler dans le secteur public, sur des projets permettant de réduire la production énergétique.

Conclusion

Les actions individuelles et collectives entre pairs occupent aujourd’hui une place majeure dans le développement des APE des élèves-ingénieur·es. Une partie des bénévoles d’ISF joue sans doute déjà le rôle de passeur·euse pour certain·es de leurs proches. Ce rôle social pourrait être mis en lumière et, par ce biais, favoriser également le recrutement de nouveaux·elles bénévoles pour l'association. Cela implique que l’association s’empare pleinement de cette notion d’enjeux socio-écologiques et l’intègre aux pratiques d’ingénierie déjà promues au sein d’ISF (tel l’ingénieur·e citoyen·ne).

1Commission des Titres d’Ingénieurs

2Voir notamment le document Références et Orientations de la CTI : https://www.cti-commission.fr/wp-content/uploads/2024/03/RO_Referentiel_2024_VD2.pdf ou la note de cadrage du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche « Former à la transition écologique pour un développement soutenable les étudiants de 1er cycle » https://www.cge.asso.fr/wp-content/uploads/2023/07/Note-de-cadrage-MESR_TEDS_formation-des-etudiants-1er-cycle.pdf.

3Pour plus de détails, voir la synthèse de l’étude RITES sur le site de l’OFC : https://asso-odfc.org/rites-2023-2024/.

4Les détails du développement des APE chez les élèves-ingénieurs sont disponibles dans l’article scientifique suivant : L’éco-socialisation ou les origines du développement d’aspirations professionnelles écologiques chez les élèves-ingénieurs, L’Orientation scolaire et professionnelle, 53(4), 653 – 687. https://doi.org/10.4000/12y6t.

19 juin 2025
Nathan Coutable, représentant de l’OFC et Emilie Hacher, salariée de l’OFC
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