Les projets internationaux à ISF : quelles évolutions ?

Parallèlement aux mutations de la Solidarité internationale, ISF cherche à faire émerger de nouvelles pratiques de collaboration internationale.
Dessin de Claire Robert, extrait du guide Partir pour être solidaire?, ritimo, 2019 (www.ritimo.org)
Claire Robert

Depuis quelques années, des mouvements contestataires ont émergé dans les pays du « Sud » et remettent en cause l’« aide » apportée par les pays du « Nord ». Cela s’est notamment traduit en Afrique par la création d’un mouvement politique appelé le Panafricanisme qui promeut une vision sociale, économique, politique et culturelle d’émancipation des Africain⋅es pour faire face aux inégalités persistantes sur ce continent. En effet, beaucoup d’ONG ont été présentes dans de nombreux pays africains, avec des idées humanistes mais les populations n’ont constaté que très peu d’évolutions de leurs conditions de vie puisque restant dépendantes de ces dernières. De plus, des sociétés ont été dévastées par la mise en place de projets ne respectant pas les traditions, les cultures et les organisations sociales locales.

De ces constats, deux grands courants ont été identifiés afin de montrer les visions différentes que peuvent porter les structures d’aide. D’une part, il y a l’humanitaire qui désigne toutes les actions menées dans des cas de situations d’urgence pour assister les populations en difficulté suite à un séisme, une inondation, un conflit armé, des vagues d’immigration, etc. Les ONG qui mènent ce type d’actions considèrent que les êtres humains du territoire confronté à cette « catastrophe » sont dans une vulnérabilité telle qu’ils ne peuvent s’en sortir sans leur aide. Les actions sont donc ponctuelles et à court terme. Au contraire, les projets de Solidarité Internationale tels que cette notion est définie actuellement, sont des projets où une concertation entre les populations bénéficiaires et celles qui les mettent en place est réalisée en amont afin que chacun⋅e puisse exprimer ses besoins et ses capacités. Il y a donc une tentative de construction mutuelle d’un projet à long terme visant à réduire les inégalités et à garantir l’accès aux droits fondamentaux (tels que l’alimentation, l’accès à l’eau, la santé, l’habitation, l’éducation, etc.) qui est opérée.

Ingénieurs sans frontières accompagne de nombreux projets de groupes locaux dans les pays dits du « Sud » et est confrontée sans cesse aux aspirations et changements de la vision de la Solidarité Internationale. Elle tente d’évoluer en ce sens en modifiant les cadres des projets. Historiquement, les projets réalisés par les groupes étaient de nature technique et encadrés par un partenaire local. Cependant, de nombreuses questions se sont posées suite à des projets n’ayant pas pu être concrétisés : pouvons-nous accepter que de jeunes étudiant⋅es en première année d’école d’ingénieur⋅es, ayant pour seuls bagages 9 mois de cours théoriques, puissent entreprendre des projets techniques alors même que cela ne serait pas toléré en France ? Les pays du Sud ne sont pas les bacs à sable des étudiant⋅es des pays dits du Nord qui souhaitent acquérir de la pratique. Quelle est donc leur légitimité à amener leur « science » dans ces pays ? De plus, il avait pu être constaté que pour certains projets la réflexion de leur réalisation n’avait été menée qu’avec le partenaire local, qui avait une vision de l’amélioration des conditions de vie de la population n’étant pas en adéquation avec les besoins réels. Cela engendrait une faible participation de la population locale à la concrétisation du projet avec des conséquences sur sa réalisation.

De ces constats, deux nouveaux types de projets se sont développés à ISF. D’une part, des projets encore techniques mais à plus long terme (sur 2 années ou plus) avec une première phase de terrain, permettant d’identifier, en coopération avec la population locale, les besoins réels et les solutions possibles et acceptables. D’autre part, ISF tente d’orienter les groupes locaux vers des projets toujours accompagnés par un partenaire local mais moins techniques. Il en résulte des projets essentiellement basés sur des échanges de connaissances qui font l’objet d’un partage lors du retour dans leur pays d’origine. La Solidarité Internationale ce n’est pas uniquement « réaliser des projets » à l’étranger mais c’est aussi prendre conscience que nous pouvons œuvrer pour un monde plus juste depuis notre territoire et au sein de celui-ci. Depuis deux ans environ, ISF va encore plus loin dans sa réflexion en essayant d’accompagner des projets non techniques et sans partenaire, que vous pourrez découvrir dans l’article suivant.

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23 janvier 2020
Salomé Ott & Eglantine Cadena
Thématique