Qui veut le changement dans les écoles d'ingénieur·es ?

Le 3-4 février avait lieu le week-end DETOCS à Vaulx-en-Velin. L’occasion pour nous d’avoir un temps de réflexion sur le changement dans les écoles d’ingénieur·es en présence d’élèves, d’ingénieur·es actif·ves et de professeur·es. Voilà un résumé des discussions qui ont pu avoir lieu lors de ce temps.
Atelier de travail lors du week-end DETOCS
Marin Brouard (2024)

Cela fait longtemps qu’ISF milite pour l’intégration de cours de sciences humaines et sociales et sur l’écologie dans les formations d'ingénieur·es. Si ce type de cours commence à apparaître, ils restent rares et ont du mal à se mettre en place. Entre résistances internes et manques de compétences, ces cours font face à de nombreux obstacles à tous les niveaux de l’école.

Quelles obligations pour les écoles d’ingénieur·es ?

Depuis quelques années, la CTI (commission des Titres d’Ingénieurs) impose de former les ingénieur·es à la transition écologique. Excepté quelques écoles où cela s’est traduit par des modifications du cursus, la plupart des écoles ont choisi de faire du dopage d’UE. C’est-à-dire que la structure de la formation n’est pas modifiée et l’éducation à la transition écologique est intégrée dans des cours déjà existants. Par exemple, dans un cours de math, on fera une application sur un sujet lié à la transition. De nombreux·ses participant·es ont témoigné de ce genre de pratiques dans leurs écoles et que cela représentaient pour elleux une forme de greenwashing.

Malgré cette solution de facilité, quelques écoles, sous l’impulsion de leurs directions, ont fait le choix de transformer en profondeur leurs cursus. Mais cette volonté, se confronte souvent aux limites, voir aux résistances, de l’administration et du corps professoral en place. D’une part, dans les écoles d’ingénieur·es, le corps professoral, souvent spécialiste des sciences fondamentales et appliquées, a du mal à se saisir du sujet et à proposer un programme s’appuyant aussi sur des sciences humaines et sociales qui soit adapté et cohérent. Dans ce cadre, il arrive que les écoles fassent appel à des intervenant·es extérieur·es. Cela signifie souvent de renoncer au pouvoir que l’administration peut avoir sur les cours en question. Il est, en effet, difficile de savoir de quoi va vouloir parler l’intervenant·e, sa manière de faire cours et donc sa pertinence pour la formation.

Les prof sont-iels des allié·es ?

Au-delà d’un simple manque de compétence, ces changements peuvent aussi se confronter à la résistance ou à l’opposition du corps professoral. En effet, l’introduction de nouveaux cours va de pair avec la réduction, voire la suppression, d’autres cours. De ce fait, les professeur·es peuvent y être opposé·es, considérant que leurs sujets ne disposent plus d’assez de temps pour être bien enseigné. Il peut aussi y avoir des stratégies de sauvegarde de leurs positions/postes. Que se passe-t-il pour un·e professeur·e spécialiste d’un sujet très précis qui viendrait à disparaître du programme ?

Le corps professoral peut aussi être en désaccord politique avec les changements que l’on souhaite mettre en place. Cela peut-être parce qu’iels considèrent que les solutions aux enjeux actuels sont techniques et que la formation ne nécessite pas de changements aussi radicaux. Il en est souvent de même pour les cours parlant de sujets intersectionnels tel que le féminisme ou l’anti-racisme. Une personne présente à l’atelier expliquait par exemple que la proposition d’intégrer un cours sur l’écoféminisme dans la formation avait récolté plusieurs réactions sexistes au sein de l’équipe éducative. L’occasion de se rappeler que ce n’est pas que les formations que l’on essaye de changer, mais aussi ce qui structure la formation.

Enfin, quand bien même, des membres du corps professoral réussissent à construire des modules de formations qui tiennent la route, iels éprouvent de la difficulté à enseigner ces cours. Cela peut s’expliquer d’une part par ce que ces enseignant·es motivé·es cherchent à transmettre, à savoir « un engagement, une posture, du militantisme plutôt qu’un savoir ». Cela nécessite alors de penser son cours de manière différente d’un cours classique. Parmi les pistes exploré·es et plus ou moins éprouvé·es, l’idée de faire des cours inversés, plus horizontaux, où quelques élèves feraient cours à d’autres élèves est sortie. Il y a aussi l’idée de faire du terrain, d’emmener les élèves dans des espaces où ils peuvent se confronter à la réalité d’une situation sociale ou environnementale critique.

Réformer les formations, dé-former les élèves ?

Mais même ces propositions ont des résultats mitigés une fois mis en place. En effet, il est fréquent que ces cours se heurtent à du désintérêt voir des résistances de la part des élèves. D’une part, il semble que les élèves soient ennuyés de devoir toujours se confronter à ces sujets dont iels ont l’habitude et qui sont souvent enseignés sur un ton moralisateur ou descendant. Par exemple, une participante présentait le cas d’un cours sur la fresque du climat qui n’était pas du tout aimé, car les gens avaient le sentiment de déjà savoir connaître la situation climatique et ses conséquences potentielles. De même, les élèves se mettent, et sont mis, dans une situation de consommateur·rices des cours, qu’ils choisissent donc en fonction de l’utilité (pour les partiels ou pour la vie professionnelle) qu’iels y voient.

Plus largement, la transmission de cet engagement ou de cette posture doit parfois composer avec des désaccords politiques parmi les élèves, mais aussi, et surtout, une incompréhension du sens du cours. En sortant de classes préparatoires, les élèves ingénieur·es ne sont pas formé·es pour avoir du sens critique et de la réflexivité. Iels sont aussi habitué à avoir des cours dans lesquels ce qui a à apprendre et la manière dont iels seront évalué·es est connue dès le début. Ainsi face à des cours ou il n’y a pas une réponse claire et absolue et où la manière de réussir l’examen est incertaine, ces élèves se retrouvent rapidement perdu et n’adhèrent pas au cours. Cela questionne beaucoup la manière et le but pour lequel nous sommes formé·es.

Ces constats nous font dire que les écoles d’ingénieurs nécessitent des transformations radicales. À ce titre, ISF est actuellement en train de construire un cahier de revendication pour les écoles d’ingénieur·es que nous souhaitons porter auprès des décideur·euses de ces formations. Cela nous pose aussi un certain nombre de questions : À quoi doivent servir les écoles d’ingénieur·es ? Comment transmettre un engagement ou une posture ? Comment faire des élèves des acteur·rices engagé·es dans leurs formations ?

Pour toute question contacter Marin Brouard (marin.brouard@isf-france.org)

20 février 2024
Marin Brouard
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