L'équateur révolutionne la propriété intellectuelle

Céline Meneses travaille actuellement en Équateur comme conseillère politique au sein de l’Institut Équatorien de Propriété Intellectuelle (IEPI). Cette institution dépend du Secrétariat d’État à l'Enseignement Supérieur, aux Sciences, aux Technologies et à l'Innovation (SENESCYT) qui a mis sur pied ces derniers mois un Code organique de l’économie sociale de la connaissance et de l’innovation. Considérée comme avant-gardiste, cette législation souhaite faire évoluer le droit en fonction non seulement des réalités nouvelles mais aussi et surtout du droit primordial de toutes et tous à avoir accès au savoir, à le partager et ainsi à le faire évoluer – condition sine qua non de la création et de l’innovation.
Céline Meneses
© DR (2015)

Ingénieurs sans frontières - Qu’entend-on par « économie sociale de la connaissance » ?

Céline Meneses - Il s’agit fondamentalement d'institutionnaliser les connaissances comme biens communs répondant à des droits et des besoins des êtres humains et non aux seules velléités du système d’accumulation capitaliste. Pour cela, il est primordial de déjouer les stratégies monopolistiques qui ont cours telles que la multiplication des brevets sur des innovations partielles ou sur le vivant, leur prolongation, toutes les formes d'entraves à la production de médicaments génériques ou aux possibilités de propriété collective des savoirs. Le savoir est un droit de l’Homme dont découlent les droits fondamentaux comme l'accès à la santé. Il est, en ce sens, supérieur au simple droit de propriété. C'est pourquoi nous considérons que les droits intellectuels sont le cadre commun des savoirs et que les droits de propriété intelectuelle constituent une exception diverse et mesurée à ce cadre.

 

ISF - Pourquoi est-ce une composante essentielle de l’émancipation des peuples ?

C.M. - L’information, la culture, la santé, les connaissances en général, tout répond aux normes actuelles de propriété intellectuelle. Cela a des conséquences sur nous en tant que citoyens. Si les connaissances ne sont partagées que par une élite économique, comment participe-t-on au progrès ? Comment bénéficions-nous des richesses qu’il permet ? Comment s'émancipe-t-on ? Impossible. Pour construire une répartition juste des richesses en tout genres et pour les multiplier, il est indispensable que nous ayons toutes et tous accès au savoir en temps réel, que nous puissions l’appréhender, l’étudier, l’utiliser, le transformer.

Ce qui se passe sous nos yeux est exactement l'inverse : les entreprises transnationales obtiennent partout le renforcement des droits de propriété intelectuelle qui leur permet de garder le monopole du savoir et des bénéfices qu'il peut engendrer, au détriment des populations. Le cas des brevets des médicaments est emblématique en la matière. Si nous n'agissons pas, bien des innovations et des créations se perdront faute d'avoir eu accès aux biens intelectuels contemporains.

 

ISF – Les citoyens ont-ils participé au texte ?

C.M. - Le Code organique de l’économie sociale de la connaissance et de l’innovation a été mis en ligne sous forme de Wiki en 2014. Cette présentation vous surprendra peut-être. Sachez qu’elle a permis de travailler le contenu avec des milliers d’internautes : 1,4 millions de visites sur le site et pas moins de 37 000 participations à la rédaction du Code ! Avec des participations équatoriennes, bien sûr, mais pas seulement : des internautes informés (et hispanophones) du monde entier ont pu donner leur avis et faire des suggestions ! Les débats ont également eu lieu sur l'ensemble du territoire équatorien, tant auprès des professsionnels, des artistes et des entrerises, qu'auprès des communautés locales - notamment en ce qui concerne les savoirs traditionnels.

 

ISF – Quels sont les impacts majeurs dans les domaines de l’ingénierie ?

C.M. – Le nouveau Code conditionne toute obtention de droits de propriété intellectuelle à l’obligation d’innovation sociale, de transfert et de diffusion des savoirs au bénéfice des producteurs et des usagers des savoirs, de façon à favoriser le bien-être économico-social et à réduire la dépendance cognitive. Les ingénieurs doivent ainsi innover en suivant les priorités établies. De même, contrairement à ce qui se produit aux États-Unis ou en Europe actuellement, l'obtention d'un brevet est limitée aux « innovations complètes, significatives et susceptibles d'application industrielle ». Aucune découverte d’une matière existante n’est brevetable pas plus qu’une innovation partielle ajoutée à une innovation préalable. Par ailleurs, les titulaires de brevets ne pourront pas objecter leur droit en cas d’usage à échelle non commerciale, d’expérimentation, d’enseignement ou de recherche scientifique. Une manière de pousser l'innovation plus loin et plus vite en dépit des conditions posées par les accords internationaux sur la protection des droits intellectuels.

1 juin 2015
Thomas Champigny, bénévole équipe SysInfo
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