Immersion au pays de la COP 23 !

Avec trois autres membres d’Ingénieurs sans frontières, Remi a participé à la première semaine de la Conférence des Parties (COP) 23 à Bonn, cadre des négociations internationales sur le changement climatique. Une expérience formatrice et riche d’enseignements qu'il tente de nous faire revivre à travers ces quelques lignes ...
Vladimir, Mark et Rémi, en pleine animation du porteur de paroles
@ISF France


Migrer avec dignité

La voix vibrante, le regard grave mais toujours pétillant de malice, Anote Tong, ancien président des îles Kiribati, s’exprime au sujet des déplacements de population dus au changement climatique. Nous sommes à la fin de la première semaine de la COP 23, dans la Bonn Zone. La salle de conférences est pleine. L’ancien politique fascine par la sérénité et la bienveillance qui se dégagent de son allure, de ses gestes et de ses paroles. D’un ton apaisé, il met en lumière la situation dramatique des îles du Pacifique, et notamment de son archipel, les îles Kiribati (anciennement appelées îles Gilbert), directement menacées de submersion dans les années à venir. Avec dérision, il pique : « je ne crois pas aux îles flottantes. Il va nous falloir partir, nous n’avons pas d’autre choix ». Avant de se tourner vers l’avenir : « il nous faut réfléchir sur ce que nous léguons à nos enfants, à nos petits-enfants. Nous avons encore le temps d’agir. Il y en a pour qui il est certes déjà trop tard. Ceux-là ne sont pas des réfugiés climatiques, comme on peut l’entendre. Je préfère cette expression : migrer avec dignité. Quelqu’un qui migre avec dignité, c’est quelqu’un qui a autant de chances que quiconque de réussir dans son pays d’accueil, et qui pourrait même en devenir le président, pourquoi pas ? » L’assistance rit, mais le propos reste sérieux. Tong conclut : « Le changement climatique n’est pas un problème économique, mais un problème moral. Allons nous rejeter à l’eau ceux qui tentent de rejoindre notre canot, ou à l’inverse les hisser à bord ? Nous devons devenir des leaders globaux, et non plus des leaders nationaux. Voilà l’enjeu. »


 

Trouver le Talanoa

Cette COP fut l’occasion et le théâtre de nombreuses rencontres inspirantes comme celle d’Anote Tong. C’est un réel espace de dialogues entre acteurs du monde entier qui ne vivent pas de la même façon le changement climatique, n’ont pas les mêmes armes pour le combattre, ni le même poids dans les négociations actuelles. C’est également sa limite : la réalité pratique vécue par certains se heurte à l’immobilisme d’autres. Quelle attitude adopter face au déni ? Comment trouver les ressources pour adopter ce fameux Talanoa (art du dialogue et de la discussion constructive entre partis, promu par les îles Fidji) ? Anote Tong nous donne une partie de la réponse.


 

Climat ou croissance ?

Une autre partie se trouvait dans les manifestations des ONG et de la société civile, tous les jours dans la Bonn Zone. Des événements simples, des chants, des slogans, des scénettes théâtrales, des protestations silencieuses… un éventail varié d’actions mettant en valeur la solidarité, le dialogue et la pensée positive, malgré les obstacles. Ainsi, j’ai pu co-organiser avec Vladimir d’Ingénieurs sans frontières Grenoble et Mark, notre acolyte anglais, un atelier « Porteur de Paroles ». Nous déambulions dans la Bonn Zone avec des panneaux « Climat ou Croissance ? » et invitions ceux et celles que nous croisions à répondre, donner leur avis, argumenter. Un étudiant de Harvard répondit catégoriquement qu’il n’était pas possible de concilier modèle actuel de croissance et préservation du climat. Le thème de la croissance verte émergea rapidement dans la bouche de beaucoup : si l’on parvient à créer un cercle vertueux, où ce qui est utilisé par l’un est ensuite réutilisé par l’autre, où le déchet de l’entreprise A sert de ressource à l’entreprise B, et si l’on passe d’une logique de libre compétition à une logique de libre collaboration, alors croissance et climat peuvent redevenir compatibles. Mais le monde financier actuel le permettrait-il ?

Les interrogations fusent, des débats s’installent. Un journaliste belge file la métaphore des arbres : il nous faudrait penser forêt, écosystème, le plus résilient et le plus organisé au monde, fruit d’un savoir-faire naturel développé au cours de millions d’années d’évolution.

Un représentant de la délégation comorienne nous explique que selon lui, la lutte contre le changement climatique repose sur le pari de l’entente entre trois acteurs majeurs : le politique, l’entrepreneur et le citoyen consommateur. A ce dernier d’être responsable de ses choix pour structurer l’offre émanant des entreprises, elles-mêmes encadrées et accompagnées par des normes étatiques. Vladimir, Mark et moi étions euphoriques à la fin de cet atelier si simple et si porteur de sens à la fois : en moins de deux heures, nous avions parlé à plus de vingt personnes, défriché ensemble un sujet complexe, et compris que les réponses pouvaient fortement différer selon l’origine géographique et la position occupée (membre de délégation, journaliste, observateur, diplomate ou ONG).


 

La voiture, tout un symbole

Parmi les innombrables conférences et tables rondes organisées durant la COP, nombreuses furent celles qui avaient trait, de près ou de loin, à la mobilité, aux transports et plus particulièrement à la voiture. La voiture du futur est un marché qui attire les convoitises, et chacun cherche à s’y positionner : j’assistais ainsi un jour aux louanges de la voiture électrique (sans un mot sur l’extraction du lithium nécessaire à la production des batteries la propulsant), le lendemain à celles de la voiture à éthanol (quid des immenses surfaces agricoles dédiées aux agro-carburants dans des pays où la sécurité alimentaire n’est même pas atteinte ? Ou de la déforestation ?). Ces discussions m’ont semblé le parfait symbole d’un aspect de la COP : on ne remet pas en cause le modèle, on cherche seulement à changer d’outils. On souhaite passer du thermique à l’électrique, pourquoi ne pas remettre tout simplement en question nos besoins de mobilité ? Pourquoi ne pas recentrer nos activités, restructurer nos villes, pour réduire nos trajets automobiles au strict nécessaire ? De cette question, nulle trace dans les débats.


 

Pour finir sur une note positive…

La COP est une expérience riche en enseignements pour qui veut se familiariser aux négociations internationales, leurs enjeux et leurs pratiques. Elle peut également faire surgir nombre de frustrations, notamment quant à l’avancée de ces négociations et le positionnement de certaines délégations. Plus encore, le manque de remise en question du modèle socio-économique actuel interroge et inquiète.

Malgré cela, je suis ressorti de cette COP profondément revigoré dans mon engagement. Oui, les négociations avancent lentement. Non, il n’y a pour l’instant pas de remise en cause du système actuel. Mais oui, partout dans le monde des énergies se créent, se rassemblent, fusionnent pour agir et promouvoir la lutte contre le dérèglement climatique. Les citoyens ont plus que leur mot à dire : ils peuvent (doivent ?) s’emparer de ces problématiques pour agir. L’action citoyenne est primordiale et même moteur dans cette lutte. C’est avec cette profonde conviction chevillée au corps que j’ai quitté Bonn à la mi-novembre, bien décidé à porter ce message une fois revenu en France et à m’engager pour lui donner vie !

6 février 2018
Rémi Rousselet, bénévole Ingénieurs sans frontières
Thématique 
Catégorie