Scénario Afterres 2050 : pour une utilisation durable des terres agricoles françaises

Le scénario Afterres 2050 est l'aboutissement de 3 ans de réflexion du bureau d'études associatif Solagro, autour de la question "Disposerons nous des surfaces nécessaires pour nourrir la France à l'horizon 2050 ?". Après avoir contribué au scénario NégaWatt sur les enjeux énergétiques, Solagro souhaite analyser sur la base de données "physiques et chiffrées", s'il est possible de nourrir les 72 millions d'habitants français et le bétail, de fournir de l'énergie et des matériaux tout en préservant la fertilité des sols, la qualité des eaux, la biodiversité.
Verger et vaches
DR

Afterre 2050 est un scénario prospectif basé sur la demande alimentaire de la population française en 2050. Compatible avec le scénario prospectif énergétique NégaWatt 2011, il ajuste les besoins alimentaires et énergétiques aux capacités physiques et fonctionnelles de nos agrosystèmes français, dans un espace sous contrainte.

De nombreux défis à relever

Le scénario tente de répondre aux différents enjeux agricoles, alimentaires et environnementaux pris en compte dans les mesures et engagements du gouvernement français. Les principaux défis sont les suivants :

  • Rééquilibrage des échanges internationaux, diminution des impacts et relocalisation de certaines productions ;
  • Recherche d'un meilleur équilibre nutritionnel, lutte contre la malbouffe et la surconsommation ;
  • Limitation des pertes de terres agricoles et préservation des espaces naturels. Depuis, une dizaine d'années, le phénomène d'artificialisation des terres agricoles est grandissant. Il est du en grande partie à l'augmentation et au déplacement de la population des campagnes vers les villes ou des centres vers les périphéries. De plus, l'augmentation du niveau de vie, favorise l'achat du modèle "Maison individuelle avec jardin" qui prend plus de place que l'habitat collectif, et l’augmentation du nombre d'habitations secondaires ;
  • Restauration des écosystèmes et préservation de la biodiversité ;
  • Prise en compte des risques d'effondrement des ressources halieutiques ;
  • Réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l'agriculture par un facteur 2. En 2050, l’augmentation de 2°C de la température aura un fort impact hydrique qui se répercutera sur les rendements agricoles ;
  • Production d'énergie renouvelable, stockage du carbone ;
  • Aménagement du territoire, partage de l'espace entre fonctions et usages ;
  • Redévelopper un tissu économique et social rural
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  • Face à ces contraintes et enjeux, Solagro a voulu vérifier la capacité des secteurs agricole et forestier français à nourrir la population en 2050. L'objectif de la démarche est de se donner les moyens d'évoluer vers une agriculture viable et désirable en construisant un modèle agricole et alimentaire durable, crédible, compréhensible et quantifié pour la France. De plus, le scénario veut ouvrir un débat transversal sur les territoires, en milieu agricole, auprès des citoyens sur ces orientations pour ensuite interpeller les instances politiques et permettre la mise en place effective des résultats obtenus.
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    Des résultats à mettre en débat
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Le scénario interroge et croise les besoins avec une offre, non pas limitée mais placée sous fortes contraintes, notamment environnementales, climatiques, et spatiales. Le principe de sobriété et d'efficacité sont appliqués sur toutes les étapes de la chaîne alimentaire.
 
Evolution de l'assiette alimentaire française : plus végétarienne
 
L'assiette Afterre 2050 se veut plus saine, équilibrée et plus goûteuse. Elle contient moins de viande (réduction de 50%), moins de lait et moins de sucre pour plus de céréales, de fruits et légumes, de légumineuses, etc. D'un point de vue nutritionnel, l'inversion du rapport protéine animale/ protéine végétale n’induit pas de problème de santé, au contraire. Les risques de maladies cardio-vasculaires sont minimisés. La réduction de la consommation de sucre réduit les probabilités de diabète et l'obésité. Ce changement de régime alimentaire conditionne les modèles de production et donc d'utilisation des terres.
 

Évolution des agrosystèmes : vers l'agroécologie et moins d'élevage

 

 

 

En 2050, l'agriculture conventionnelle optimise la production de biomasse dans le temps et l'espace. Le principale mode de production agricole relève de la production intégrée dont les rotations sont plus longues et intègrent plus de légumineuses, plantes fixatrices d'azote. Le travail du sol est simplifié (moins de labour, couvert permanent) pour optimiser sa fertilité. Les haies, les arbres et les zones humides sont réintroduits sur les parcelles. Le traitement des nuisibles minimise l'utilisation d'intrants chimiques en mettant en avant les propriétés biologiques des plantes ou des animaux présents dans l'agrosystème (lutte biologique). La biodiversité est maintenue. La consommation d'engrais et de pesticides est divisée par 4 par rapport à aujourd'hui. L'agroforesterie comme les associations culturales, c'est-à-dire la récolte sur une même parcelle, à la même saison de plusieurs cultures, sont généralisées.
Dans un soucis de bien-être animal et pour répondre au changement de l'assiette alimentaire en 2050, le scénario prévoir une forte réduction des cheptels (division par 2), tant pour les bovins et caprins que pour les porcs et les volailles. Le cheptel ovin (mouton) est inchangé car il valorise actuellement des espaces spécifiques, inexploitables par ailleurs. L'élevage bovin reste proche des pratiques françaises actuelles avec une grande importance des pâtures. La production de lait répondant à une demande moins importante est divisée par 2 tout comme le cheptel viande. Solagro, prône la réintroduction de races mixes (lait et viande) pour répondre aux nouveaux besoins. La moitié de la production porcine et avicole est labellisée. L’intensification de ces élevages est divisée par 3.
 

Evolution des échanges internationaux : centrés sur le bassin méditerranéen

 

 

 

D'après Solagro, la France importe l'équivalent de 8,4 millions d'hectares (bois, soja, fruits et légumes, café, cacao, tabac, viande, etc.) et exporte environ 7 millions d'hectares (céréales, viandes et produits laitiers, sucre, vin et alcool), soit une dépendance de 1,4 millions d'hectares. Dans le scénario, les exportations de denrées alimentaires destinées à l'alimentation humaines (viandes et céréales) sont confinées à l'espace européen, élargi vers l'espace méditerranéen, Moyen orient compris, en prenant en compte la densité de la population et le potentiel agricole des cet espace. Solagro fait le choix de diminuer les échanges avec l'Afrique de l'Ouest dans les rendements agricoles devraient augmenter.
Une partie de l'alimentation animale provient actuellement du continent américain (soja, maïs). En 2050, les importations de soja et des tourteaux dérivés en provenance des Amériques sont totalement supprimées. Les exportations de céréales à destination de l'élevage sont également fortement réduites mais maintenues pour conserver la vocation de la France à nourrir un monde dont l'alimentation carnée est de plus en plus importante.
 

Évolution de l'usage des terres : alimentaire et énergétique

 

 

 

L'application du scénario Afterres 2050 modifie l'usage d'une partie des 55 millions d'hectares de la France métropolitaine. Une première série de contraintes (augmentation de la population, artificialisation, réductions des importations, et des rendements) tend à augmenter la pression sur les terres fertiles (prairies permanentes et terres arables). En contrepartie, la modification des régimes alimentaires et la réduction des exportations réduisent cette pression foncière. Une fois les besoins alimentaires globaux (humains et animaux) et en exportation satisfaits, Solagro estime que 5 à 8 millions d'hectares (un tiers de terres arables, deux tiers de prairies permanentes) peuvent être réaffectés. Le changement d'utilisation des terres arables est plus simple que pour les prairies permanentes dont une autre valorisation de l'herbe ou boisement devra être pensée.
La biomasse produite sur ces terres peut servir alors à la production d'énergie, de matériaux de construction ou encore de source de carbone pour l'industrie chimique. L'option choisie par Solagro est de convertir environ 1,5 millions d'hectares de prairies en production d'herbe pour la méthanisation, et 1,5 millions de terres cultivables en production de céréales et oléagineux pour produire à la fois du carburant, et des tourteaux et protéines destinées à l'alimentation animale. Néanmoins, ce mode d'utilisation des terres ne pourra se faire que lorsque le régime alimentaire français aura évolué pour le permettre.
 
Perspectives
 
Afterre 2050 entre dans une phase de déclinaison régionale afin de réfléchir à la relocalisation, spécialisation et échanges de certaines productions sur le territoire français. Quatre régions sont intéressées : Centre, Île-de-France, Picardie, et Rhône Alpes. Les conseils régionaux souhaitent faire bouger leurs territoires et disposer d'innovations. Des comités de pilotages pluri-acteurs se sont constitués. Leur travail se basera sur des réussites : AMAP, circuits-courts, parc du Lubéron, etc. dans un premier temps, les hypothèses nationales seront appliquées telles quelles sur les données régionales. Des modulations seront ensuite apportées en fonction des caractéristiques agricoles des régions (productions endémiques, adaptabilité, etc.). Ces résultats s'ils sont mis en œuvre, auront de lourdes conséquences sur le secteur agricole et la société. L'enjeu est également d'étudier les impacts sociaux du scénario..
 
Pour aller plus loin :  http://www.solagro.org
 
29 octobre 2013
Bénédicte Carmagnolle
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