Puis-je être misandre ?

Revenu à plusieurs reprises lors de l’arpentage du dernier ouvrage de Pauline Harmange lors des dernières RESIC, le terme de misandrie est souvent placé en opposition à la misogynie. Analysée dans le contexte actuel, cette comparaison n’est pas pertinente.
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Margot Chatard

Pourquoi parler de misandrie ?

La misandrie a été largement utilisée par les journalistes lors de la rentrée littéraire 2020, pour qualifier deux ouvrages : « Le génie lesbien » d’Alice Coffin et « Moi les hommes, je les déteste » de Pauline Harmange. Dans les deux cas, l’adjectif était utilisé au sens négatif du terme, y voyant des pamphlets contre les hommes. La lecture attentive de ces deux ouvrages nous révèle qu’il n’en est rien.

La polémique autour de l’ouvrage d’Alice Coffin prend sa source dans une citation expliquant pourquoi elle privilégiait désormais les œuvres féminines : « Il ne suffit pas de nous entraider, il faut à notre tour, les éliminer. Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations. Je ne lis plus les livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. J’essaie, du moins », les journalistes ayant tronqué l’extrait justifiant cette démarche sans approfondir les thèses défendues dans l’ouvrage. Les propos de l’autrice évoquaient une tentative d’émancipation culturelle vis-à-vis de la domination masculine. De même, seul le titre provocateur de Pauline Harmange a suscité le blâme, sans que son œuvre n’ait été analysée. La misandrie est quasiment systématiquement utilisée comme une fin de non-recevoir de la part d’antiféministes pour arguer le danger de certains écrits qui voudraient questionner le rapport de domination entre les genres.

Peut-on opposer misandrie et misogynie ?

La misandrie, d’un point de vue étymologique, vient des termes grecs mîsos (haine) et aner (homme). D’après le petit Robert, cela signifie « qui éprouve du mépris, voire de la haine, pour le sexe masculin ». On comprend donc qu’il est tentant de l’opposer à la misogynie.

Le rapport à la violence qu’entraînent ces deux termes n’est absolument pas comparable. En effet, la misogynie, s’inscrivant dans un rapport de domination systémique des hommes sur les femmes, elle ne fait que renforcer la violence subie par les femmes en raison de leur genre. Les chiffres des féminicides nous rappellent que la misogynie tue, ce qui est loin d’être le cas de la misandrie. Les attentats misogynes existent. On peut prendre pour exemple l’attentat commis en 1989 à l’école Polytechnique de Montréal, par un homme dont les textes évoquaient clairement sa haine des femmes et sa volonté de les tuer.

La misandrie comme outil émancipateur

La misandrie se manifeste en réaction à la violence systémique d’une société pensée et construite par les hommes, pour des hommes. Les simples réactions violentes des hommes face à une phrase telle que « Moi les hommes, je les déteste » permettent paradoxalement de légitimer la misandrie. L’expression d’un simple rejet exprimé par l’autrice choque davantage que les viols, les massacres et les autres formes de violences que les femmes subissent.

Être misandre, c’est s’autoriser à s’émanciper des attentes des hommes et de la société à l’égard des femmes. Pauline Harmange l’exprime dans un article intitulé « Pourquoi haïr les hommes » du n° 17 de la Revue du crieur, « On apprend depuis l’enfance à placer l’opinion des hommes au-dessus de toutes les autres, au détriment de nos propres sentiments, de nos instincts, de nos connaissances aussi. Rejeter les hommes, c’est se choisir soi-même, et choisir les femmes qui nous entourent, qui nous rendent notre affection, qui nous soutiennent. »

La misandrie, c’est un premier pas vers la sororité, l’équivalent féminin de fraternité. Ceci représente une crainte chez les hommes que leur pouvoir de domination s'affaiblisse en conséquence. Il est donc légitime de s'attendre à un retour de bâton de leur part. Les victoires féministes sont bien souvent suivies d’une contre-offensive réactionnaire. C’est ce que la journaliste états-unienne Susan Faludi appelle le Backlash, notion qu’elle a théorisé dans un ouvrage du même nom en 1991.

7 juillet 2021
Alice Renault et Nolane Hocq, membres du Comité Femin’ISF
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