Nos forces, nos faiblesses, nos ambitions : regards croisés d'Ingénieurs sans frontières Kosovo, Mexique et Australie

Trois organisations appartenant au réseau Engineers Without Borders - International (EWB Kosovo, ISF Mexico et EWB Australia) ont accepté de répondre aux questions posées par Ingénieurs sans frontières-France.
Photo de groupe lors du Global Forum d'EWB International 2016
Jérémy Billon

ISF France : Pouvez-vous présenter brièvement votre organisation et ses actions phares ?

Nick Brown (EWB Australia) : EWB-Australia (EWB-A) est une organisation bénévole composée d'étudiants et de professionnels. Nous avons quelques milliers de bénévoles au sein de notre réseau avec une parité plutôt équilibrée pour le monde ingénieur, avec environ 40 % de femmes. Nous croyons que l'ingénierie est fondamentale pour vivre une vie pleine d'opportunités loin de toute pauvreté. Nous menons un certain nombre de programmes selon l'idée que tous possèdent des connaissances ingénieures et les ressources essentielles pour mener une vie décente. Nos projets de développement se concentrent sur la région d'Asie Pacifique, particulièrement au Cambodge, Vietnam et au Timor, bien que nous ayons également un lien historique assez fort avec le Népal et l'Inde. Nous avons aussi des projets locaux en collaboration avec les communautés aborigènes australiennes. Enfin, nous travaillons beaucoup la thématique de l'éducation avec des programmes de renforcement de capacités au niveau universitaire.

Gerardo Sanchez (ISF Mexico) : ISF-Mexico (ISF-M) est une organisation à but non lucratif créée en septembre 2004. Tous les membres du Conseil d'administration sont des professeurs à plein-temps à l’École Ingénieure de l’État de Tamaulipas, située sur le campus de Tampico-Madero au Nord-Est du Mexique. Ils sont tous bénévoles au sein de l'organisation. Notre objectif principal est de travailler avec des communautés défavorisées, tant urbaines que rurales, afin de les accompagner dans l'élaboration de projets d'ingénierie leur permettant un accès aux besoins de base. Une fois ces projets posés sur le papier, nous les accompagnons dans leur recherche de financements, au niveau local et fédéral, afin de pouvoir se lancer dans la construction des infrastructures. Nous sommes aussi impliqués dans un certain nombre de cours et d'assistances techniques sur divers sujets liés à l'ingénierie et au développement durable, et notamment à la réduction et l'adaptation des effets produits par le changement climatique.

Vigan Jashari (EWB-Kosovo) : EWB-Kosovo (EWB-K) a été créé en 2005 par un groupe d'étudiants motivés qui voulait “faire plus” en créant un impact dans la vie des gens au travers de l'ingénierie. Notre mission est d'améliorer la qualité de vie dans les zones défavorisées au travers de la mise en place de projets d'ingénierie économiquement soutenables. Nous impliquons des groupes d'étudiants en vue de leur donner une « expérience terrain ».

ISF-France : Selon vous, qu'est-ce qui fait la particularité de votre organisation par rapport aux autres organisations portant le nom d'“Ingénieurs sans frontières” ?


N.B. (EWB-A) : Nos déploiements sur le terrain sont d'une année minimum, s'étendant même parfois jusqu'à deux ans. Ces « agents de terrain » concentrent leur action sur du renforcement de capacités d'ONGs locales.   

G.S. (ISF-M) : Depuis le début, nous nous sommes impliqués dans des projets de grande ampleur, principalement liés aux problématiques de gestion des ressources en eau et de changement climatique. Dans la plupart de nos activités, nous avons travaillé en collaboration avec la Commission Nationale de l'Eau et avec les usagers du bassin de la rivière Panuco, qui s'étend sur sept États mexicains sur une surface totale de 85 000 Km² où vivent environ 5 millions de personnes.

V.J. (EWB-K) : On cherche à mettre l'accent sur la coopération avec des partenaires locaux dans l'élaboration, la logistique et le support technique des projets d'ingénierie et d'éducation environnementale, ce qui constitue aussi une excellente opportunité pour les étudiants travaillant sur le terrain. Aussi, EWB-K travaille particulièrement sur les relations et la communication inter-ethnique, dans un pays où les clivages sur la question sont très importants. Le but étant d'accroître la coopération entre deux communautés, serbe et albanaise, en rapprochant les associations d'intérêts mutuels pour résoudre nos problèmes ensemble.

ISF-France : Selon vous, quel est le plus gros accomplissement réalisé par votre organisation ?

N.B. (EWB-A) : Nous en avons eu un grand nombre et il est très difficile d'en faire ressortir un seul. Sur notre programme d'éducation, nous avons désormais un cours de développement durable et d'humanitaire qui est désormais enseigné dans quasiment toutes les universités du pays.

G.S. (ISF-M) : Pour moi, c'est le fait d'être reconnu par une agence fédérale comme la Commission Nationale de l'Eau et de pouvoir participer à différents projets et activités de gestion des ressources halieutiques de la rivière Panuco de façon durable.

V.J. (EWB-K) : Encourager les étudiants, professionnels et les personnes motivées non-ingénieures de s'investir, collaborer, et travailler ensemble au développement de notre communauté. L'an dernier, EWB-K a subi une réorganisation avec de nouveaux membres qui sont arrivés et 4 nouveaux groupes locaux qui ont vu le jour dans des écoles privées de Pristina. Nous avons des accords de partenariats poussés avec trois autres ONGs et pensons que ces collaborations seront profitables à long terme en menant à l'élaboration d'un nombre de projets plus élevé et un meilleur accueil dans les communautés défavorisées du pays. La population du pays est composée de kosovars albanais, de kosovars serbes et d'autres minorités. Toutefois, même 17 ans après la fin de la guerre, la réconciliation des communautés est un défi d'ampleur. À notre échelle, nous travaillons avec des partenaires pour promouvoir des activités sportives ou d'échanges qui rapprocheraient ces différentes communautés.

ISF-France : Quel est le plus gros défi auquel doit faire face votre organisation ?

N.B.(EWB-A) : Les financements. Comme beaucoup d'ONGs, nous manquons de fonds, particulièrement lorsqu'il s'agit de financer autre chose que des projets en particulier.

G.S. (ISF-M) : Atteindre une pérennité en termes de financements et de staff.

V.J. (ISF-K) : Depuis la baisse des donations, nous connaissons une difficulté croissante à lever des fonds. Il y a environ 3 500 ONGs enregistrées au Kosovo dont seulement 200 sont actives ; et toutes postulent auprès des mêmes bailleurs… Être considéré comme un acteur légitime susceptible de recevoir des fonds est l'un des plus grands défis du secteur. Sur la seule année 2015, nous avons déposé cinq demandes de subventions. Aucune d'entre elles n'a abouti...Cependant, nous avons réussi à impliquer nos bénévoles dans des activités de recherche de fonds ou à les intégrer aux activités d'organisations partenaires.

ISF-France :  Quelle est votre perception du rôle de l'ingénieur dans la société et au niveau mondial ?

N.B. (EWB-A) : Nous croyons que l’ingénierie a un rôle fondamental pour permettre de vivre une vie pleine d'opportunités loin de la pauvreté. Un certain nombre de nos programmes sont basés sur l'idée que toutes les populations ont besoin d'un accès aux connaissances ingénieures leur permettant de mener une vie décente.

G.S. (ISF-M) : Nous (ingénieurs), jouons un rôle crucial pour le développement économique et social de toute société. Partout on l'on pose le regard, on peut voir le travail de l'ingénieur : bâtiments, routes, ponts, barrages, centrales, logements, technologie, innovation… Notre prochaine étape sera d'avoir une voix dans l'arène politique, afin de se débarrasser de politiciens peu scrupuleux qui utilisent le travail de l'ingénieur pour leurs intérêts privés.

V.J. (EWB-K) : L'ingénierie est un facteur clé définissant notre monde : physiquement, numériquement, socialement et économiquement. Cette influence de l'ingénierie et de la technologie ne va pas que dans un sens. Si l'ingénieur propose différentes solutions technologiques, c'est à la société de faire le choix entre elles. Les ingénieurs ont des rôles variés durant leur carrière, de postes hautement techniques à des postes de management et leadership. Les postes techniques impliquent d'avoir baigné dans le domaine des mathématiques, de la physique et des sciences dures mais d'autres postes impliquent des connaissances en communication, finances, négociations ou développement communautaire. En résumé, l'ingénierie est une profession fantastique et gratifiante où les compétences acquises permettent de poursuivre des carrières professionnelles avec des opportunités très variées. Les inventions et innovations issues du monde ingénieur ont créé de nouvelles façons de vivre et travailler. En façonnant de la sorte notre quotidien, elles sont devenues cruciales au maintien de notre niveau de vie. De l'approvisionnement de services essentiels comme l'énergie ou l'eau aux équipements hospitaliers permettant de sauver des vies, les productions de l'ingénieur sont imbriquées dans la vie des citoyens, individuellement et collectivement. Cela signifie que les ingénieurs ont une responsabilité mais surtout une formidable opportunité d'avoir une influence positive sur la société, l'environnement et le monde en général. Ceci peut se traduire par des contributions dans le développement de structures abordables et appropriées pour les pays en développement, l'approvisionnement en eau et assainissement, électricité et communication aux communautés les plus démunies. Voilà le défi auquel l'ingénieur doit s'attaquer.

ISF-France : Quelle est l'ambition principale de votre organisation pour le futur ?

N.B. (EWB-A) : Nous avons beaucoup d'ambitions mais la principale est de soutenir le secteur de l'ingénierie en Australie qui concentre ses efforts dans le travail pro bono et la responsabilité sociale des entreprises.

G.S. (ISF-M) : D'avoir au minimum un groupe local d'EWB-Mexico dans chacun des 32 États Fédéraux mexicains.

V.J. (EWB-K) : Comme l'implication des jeunes dans les processus de décision est très faible, nous avons facilité une session sur l'implication des jeunes sur les problématiques environnementales. Donc, une des ambitions les plus importantes d'EWB-K est d'accompagner le changement de processus de décision des  politiques environnementales pour inclure les nouvelles générations aux côtés des décisionnaires.

ISF-France : Comment percevez-vous ISF-France? Sur quelles thématiques ou actions seriez-vous intéressés pour travailler en commun ?

N.B. (EWB-A) : Nous sommes très intéressés par un certain nombre de travaux de positionnement que vous avez réalisés, notamment sur la possible labellisation d'un or équitable.

G.S. (ISF-M) : Nous sommes ouverts à tout type de collaboration avec Ingénieurs sans frontières France, comme avec n'importe quel Ingénieurs sans frontières. Nous avons eu la chance de travailler en commun sur un projet de bilan carbone entre l'école ingénieure de Tarbes et celle de l'Etat du Tamaulipas. Nous avons rendu notre rapport en Décembre pour qu'il soit présenté à la COP 21.

V.J (EWB-K) : ISF-France est le plus ancien ISF du monde. Il a la plus longue expérience sur le terrain, avec les communautés défavorisés telles qu'il peut exister au Kosovo. Prendre contact et partager des expériences entre bénévoles d'ISF France et d'EWB-Kosovo serait très riche en découverte de nos cultures réciproques, mais aussi sur la formation ingénieure et la perception des ingénieurs dans chaque société. Il y a beaucoup d'idées pour faire une variété de projets : organisation d'une conférence sur le lien entre éducation publique et place pour la créativité et l'innovation, réfléchir sur comment former une communauté d'ingénieurs citoyens, réfléchir à des solutions de recyclage au Kosovo (papiers plastiques notamment), renforcement de capacités et installation de panneaux solaires dans les écoles publiques […]

31 août 2016
Jérémy Billon
Thématique