La biopiraterie, une nouvelle forme de colonisation ?

La Fondation Danielle Mitterrand – France Libertés est une association de Solidarité Internationale qui s'engage dans la défense des droits des peuples à disposer de leurs richesses naturelles, à lutter contre la spoliation de leurs terres et à préserver leurs savoir-faire et savoir-vivre. Interview de Marion Veber, chargée du programme « Droits des peuples » à la fondation.
Marion Veber accompagnée de représentants des Guarani Kaiowa
France Libertés, 2016

ISF - Qu'est-ce que la biopiraterie?

Marion Veber - La biopiraterie fait référence à la privatisation du vivant et des savoirs traditionnels sur la biodiversité, notamment par le biais de brevets. Les biopirates sont les entreprises, en particulier pharmaceutiques, cosmétiques ou agroalimentaires, ainsi que les instituts de recherche qui s’approprient des plantes ou semences ainsi que les connaissances et savoir-faire sur ces ressources à travers la propriété intellectuelle. On parle de biopiraterie quand ces acteurs s’approprient de manière illégitime les savoirs développés par les communautés locales, rurales et autochtones, qui ont développé des connaissances très fines sur la biodiversité les entourant, c'est-à-dire sans leur consentement et sans partage des bénéfices réalisés grâce à leur utilisation.

Cela pose la question des biens communs du vivant et leur appropriation et privatisation. La biopiraterie invite également à réfléchir à la reconnaissance et la valorisation des savoirs des peuples. Comment repenser les rapports à ces populations pour qu’ils soient moins marqués par la violence et l’exploitation abusive ?

 

ISF – Peux-tu présenter un exemple concret de travail avec une communauté sur le sujet ?

M.V. - Le 16 novembre, France Libertés a lancé une campagne internationale sur un nouveau cas de biopiraterie qui concerne la stévia. Connue par les Guarani Kaiowa (Brésil) et Pai Tavytera (Paraguay) depuis des siècles, ils l’utilisent notamment pour ses propriétés sucrantes. C’est de ce savoir traditionnel que découlent toutes les utilisations ultérieures de la Stévia. Cependant, les Guaranis ne reçoivent pas la part juste et équitable des bénéfices résultant de la commercialisation des glycosides de stéviol.

Nous sommes aujourd’hui en contact avec les Guaranis et espérons convaincre les entreprises d’engager des négociations avec eux pour la mise en place d’un protocole d’accord et ainsi garantir un partage juste et équitable des avantages. Si ce partage ne doit pas nécessairement prendre une forme financière, il doit cependant répondre aux demandes exprimées par les Guaranis.

 

ISF - Comment les institutions politiques s'emparent du problème?

M.V.- Pour protéger les peuples et la biodiversité des biopirates, les États ont élaboré deux textes fondamentaux dans le cadre de sommets onusiens : la Convention sur la Diversité Biologique (1992) et le Protocole de Nagoya (2010). Ils posent le principe dit APA (Accès et Partage des Avantages) : les acteurs souhaitant accéder aux ressources génétiques d’un Etat doivent demander l’autorisation et, en cas de savoirs traditionnels associés, le consentement des communautés concernées doit être récolté et un partage des bénéfices mis en place. La France a intégré dans son droit le principe APA en votant le 20 juillet dernier la Loi sur la biodiversité. Bien que présentant certaines limites, elle comprend tout un volet sur la prévention de la biopiraterie par l'élaboration d'un cadre clair.

D’autres États sont beaucoup plus avancés comme l’Inde ou le Pérou qui se sont lancés dans des actions de recensement des savoirs traditionnels liés à leurs biodiversités. L’objectif avec la Bibliothèque digitale indienne ou la Commission nationale contre la biopiraterie péruvienne est de disposer d’un outil efficace pour prouver l’antériorité des savoirs traditionnels en cas de demandes de brevets posés sur des plantes dont les propriétés brevetées seraient déjà connues par des peuples.

Lutter contre la biopiraterie passe aussi par un travail de prévention à travers le renforcement des capacités des communautés locales pour mieux les informer de ce qu'est la biopiraterie, de leurs droits et des possibilités d'action. Faire connaître les alternatives possibles est un élément pour dépasser les pratiques culturelles.

 

Pour aller plus loin :

  • Les alternatives à l'appropriation de la biodiversité et des savoirs traditionnels des peuples autochtones - 2016
  • La biopiraterie : Comprendre, Résister, Agir - 2012

 


 

1 décembre 2016
Arnaud De Maria, administrateur ISF France
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