« Dans les écoles, ceux qui cherchent à s'engager ne sont pas la majorité, mais ça peut être une forte minorité »
Ingénieur et économiste de formation, Gustave Massiah est une figure du mouvement altermondialiste. Lorsqu’on l’interroge sur son parcours, il répond “c’est assez long car je suis assez vieux”. C’est aussi qu’il y a beaucoup à dire. Étudiant des Mines et de l’ENSAE, il raconte s’être politisé en prépa en suivant l’évolution des guerres d’Algérie et du Vietnam et en intégrant l’UNEF, syndicat étudiant qui a participé à la structuration des mobilisations sociales durant les années 60 et 70. Une fois diplômé, il a choisi comme d’autres camarades de l’UNEF mobilisés en soutien des luttes de libération nationale de réaliser des missions de coopération, proposées par les États nouvellement indépendants pour solliciter l’apport de jeunes diplômé⋅es appelé⋅es “pieds rouges” en référence aux “pieds noirs” qui faisaient le chemin inverse. Progressivement, ce mouvement de collaboration internationale se structure en associations, comme le CEDETIM, puis le CRID ou encore… ISF. Nous avons profité de l’UEMSS pour échanger avec Gus afin de retracer son histoire personnelle et celle plus globale des ingénieur⋅es militant⋅es.
Quel regard portes-tu sur les études d’ingénieur⋅es ?
Les études d’ingénieur⋅es en France, notamment avec l’invention des grandes écoles (et toutes les écoles se considèrent comme grandes écoles), c’est la formation de l’élite, c’est une formation de classe. Mais il y a toujours eu des gens qui refusaient. Sauf qu’auparavant, les bifurqueurs se reliaient à des organisations : parti communiste, parti socialiste unifié, d’autres courants de l’extrême gauche… Maintenant, il y a plutôt une recherche de parcours individuels.
Tu as ensuite enseigné, tes cours comportaient-ils un objectif de politisation des étudiant⋅es ?
Permettre la politisation non, mais l’accompagner oui. J’ai toujours considéré que j’avais la tâche d’enseigner pour tout le monde, mais que je m’engageais avec les étudiants et les enseignants qui le voulaient pour une réflexion plus radicale. J’ai eu la chance d’être dans une école très politisée, qui s’est formée dans la poursuite de mai 68. La politisation venait donc des étudiants, dont beaucoup sont devenus profs.
Comment analyses-tu la place occupée par les ingénieurs dans les mobilisations sociales ?
La première réponse est individuelle, c’est le choix de bifurquer. L’autre réponse est plus collective : le syndicalisme. Pendant un moment c’était très explicite, les gens à gauche allaient dans une boîte et se syndiquaient. La réflexion est ouverte : quelles sont les formes d’engagement aujourd’hui ?
Dans les écoles, la majorité des gens suivent la ligne, avec l’idée de devenir dirigeant. C’est plus commode, c’est mieux payé. Ceux qui cherchent autre chose ne sont pas la majorité, mais ça peut être une forte minorité.
Aujourd’hui, on observe un renforcement des formes classiques de répartition du pouvoir. Mais d’un autre côté, et la France est en retard là-dessus, il y a une réflexion forte sur la syndicalisation, pour se demander comment diriger les entreprises différemment. Si ce ne sont pas les financiers qui dirigent, alors qui ? C’est l’idée de la cogestion et de l’autogestion, la possibilité d’intervention des travailleurs dans la direction des entreprises. Les ingénieurs, avec leur position de cadres pourraient être moteurs dans ces changements. La première étape est d’identifier la direction financière comme une direction ennemie, puis de passer des alliances entre syndicats ouvriers et syndicats de cadres.
Cet article est un appel à contribution : partagez-nous vos expériences, les causes pour lesquelles vous vous engagez et vos formes d’engagement personnelles et collectives.