Accès à l’énergie au Mali : une filière de proximité d’agrocarburants

Construire un modèle d'accès durable à l'énergie pour les zones rurales d'Afriques de l'ouest : Tel est le Défi du projet ALITERRE (1), mené par le GERES, l'IRAM et l'AMEDD (2). Ce modèle reproductible se base sur la mise en place de filière d'agrocarburants de proximité. Interview de Géraldine Palière, chargé de mission GERES au Mali.
Assemblée villageoise de producteurs de jatropha à Konseguela, Mali.
Assemblée villageoise de producteurs de jatropha à Konseguela, Mali.
Photo GERES

ISF - Quels ont été les critères d’analyse qui vous ont poussé à promouvoir l’option agrocarburant et huile de Jatropha ?

Géraldine Palière - L’accès à l’énergie est aujourd’hui reconnu comme un réel levier de développement, en particulier lorsque cette énergie est utilisée à des fins productives. Dans la zone Sud-Est du Mali, la mécanisation des activités agricoles reste faible, malgré de nombreux petits moulins individuels qui remplacent en partie le traditionnel pilon pour la mouture des céréales. Son essor est confronté à l’irrégularité des prix du gasoil, solution fl exible et peu chère à l’investissement mais qui représente souvent plus de 50 % des coûts d’exploitation – tout en restant polluante. Par ailleurs, depuis quelques années, la crise cotonnière impacte durement les budgets des agriculteurs, et ceux-ci sont à la recherche d’une diversifi cation de leurs cultures de rente. Face à ces constats, il est apparu intéressant de tester un modèle alternatif aux carburants fossiles. Les agrocarburants participent ainsi autant au développement des activités agricoles qu’à la consolidation des services énergétiques, avec création locale de valeur ajoutée en substitution à la valeur ajoutée exportée dans le cadre de la fi lière gasoil.

ISF - Comment les acteurs locaux ont-ils été associés dans le processus d’analyse et de décision ?

G. P. - Des assemblées villageoises ont été organisées dans la phase d’étude de faisabilité, pour présenter et débattre de l’intérêt du projet avec la population. C’est suite à l’engouement rencontré pendant ces assemblées que le projet a démarré, sur la base d’évaluations des besoins locaux en carburant. Les habitants ont alors choisi un représentant par village, qui a participé à des réunions plus approfondies : démonstrations de production d’huile, échanges sur le sens des fi lières de proximité, les différents types de fi lières possibles, les coûts de production à chaque étape, les contraintes de rentabilité, etc. Des assemblées sont également organisées à l’échelle villageoise, plus spécifiquement axées sur la construction collective du savoir-faire, notamment pour la production de graines. Les fédérations paysannes et le niveau institutionnel sont informés et associés autant que possible à chaque étape. En effet,
l’un des objectifs du projet est d’associer les acteurs institutionnels pour accroître la connaissance des différents modèles de filières d’agrocarburants et en comprendre les avantages et les risques comparés en termes de développement local, de sécurité alimentaire et d’accaparement des terres.

ISF - Le projet rencontre-t-il des difficultés d’appropriation ?

G. P. - Pour l’instant, le projet n’est pas véritablement confronté à des diffi cultés d’appropriation, mais plus à une réticence par rapport à la prise de risque. Alors que les différents acteurs du projet sont dans une situation de précarité économique élevée, il leur est diffi cile d’envisager la construction d’une toute nouvelle filière, basée sur une plante peu connue. Des délais de 5 ans sont nécessaires avant la maturité des plants et il n’y a pas besoin d’opérateurs de transformation d’huile tant qu’il n’y a pas un minimum de matière première. Cette insécurité de l’approvisionnement est couplée à une relative incertitude des débouchés pour les paysans. De plus, la recherche technique est concomitante : ses résultats sont donc obtenus simultanément voire en aval des processus d’organisation de la filière (installation des unités d’extraction, organisation de la commercialisation, établissement des relations
contractuelles). Tout ceci permet difficilement de sécuriser les acteurs économiques souhaitant s’investir dans la filière. Les espaces d’échange entre les parties prenantes doivent donc être créés au fur et à mesure que les problèmes se rencontrent. .

1. Agrocarburants locaux, territoires ruraux, et énergie (ALTERRE).
2. Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités (GERES) ; Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (IRAM) ; Association malienne d’éveil au développement durable (AMEDD).

12 janvier 2012
Propos recueillis par Nicolas Laurent,
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