Questionner et comprendre pour mieux agir

Comment dépasser des solutions techniques superficielles pour identifier, dénoncer et combattre des causes globales dans le cadre de projets étudiant⋅es de solidarité internationale ?
Adrien et Nicolas du projet DEMETER (ISF Grenoble) dans une usine de terres rares en Malaisie
Adiren Toledano et Nicolas Brun

Les projets de solidarité à l’international font partie intégrante des modes d’action à Ingénieurs sans frontières depuis sa création, et sont historiquement tournés vers la réalisation technique, censée répondre à un besoin local précis. La majorité des projets a pour objectif de contribuer au développement rural au Sud : accès à l'eau, électrification, accompagnement d'activités économiques liées à une production alimentaire ou artisanale, aide à la construction d'écoles... Ce type d'actions est aujourd'hui de plus en plus questionné et critiqué au sein même d'ISF : outre les problèmes directs (décrits ci-avant) qu'il pose, se concentrer sur l'implémentation d'une solution technique détourne bien souvent l'attention des causes globales, profondes, et généralement politiques du problème identifié. Pourtant, les dénoncer et les combattre est au cœur de notre projet associatif, et agir sur le terrain est pour nous indissociable d’une participation aux débats sur les enjeux mondiaux qui en émanent.1

Depuis plusieurs années, ISF recherche et encourage donc de nouveaux modes d'engagement en solidarité internationale.2 Cela passe par la mise en place du Fonds d'appui aux Initiatives de Collaboration Solidaires (FAICS), dispositif de soutien financier de la fédération ISF pour permettre aux groupes et membres de développer de nouvelles formes de projets de solidarité internationale, et l'évolution de nos cadres d'accompagnement pour les ajuster aux nouveaux formats proposés.

Les groupes doivent ainsi, avant toute chose, s'attacher à rechercher les causes profondes des problématiques identifiées. Pour cela, on peut chercher à se tourner vers une pluralité d'acteur⋅rices concerné⋅es par la thématique et tenter de comprendre leurs interactions complexes et les enjeux et tensions sous-jacents. Ils peuvent, dans ce cas, s'affranchir d'un partenaire principal, porteur de projet, acteur essentiel des projets historiques car garant de l'adéquation du projet avec le contexte local et de sa pérennité. Les groupes peuvent également choisir de travailler avec des pair⋅es – des associations étudiantes par exemple – afin de favoriser l'horizontalité des échanges et donc faire émerger des regards croisés sur les thématiques, pour éviter un traitement occidentalo-centré des questions. L'aboutissement de cette démarche se trouve alors dans l'atteinte d'une réelle réciprocité dans le projet, avec une inversion des rôles au cours de sa mise en œuvre. Ceci peut permettre de mettre en lumière des enjeux partagés et donc des luttes communes.

Les groupes d'Ingénieurs sans frontières n’ont pas attendu la création du FAICS pour mener ce genre d'actions : depuis au moins dix ans, presque chaque année, quelques groupes s'investissent dans la réalisation de reportages pour participer à la mise en lumière de certaines luttes, la collecte de témoignages d'acteur⋅rices impliqué⋅es à plus ou moins grande échelle, éventuellement de manière réciproque, en France et dans le pays du partenaire. Néanmoins, s'ils ne sont pas nouveaux et se sont un peu développés ces dernières années, ces projets ne sont pas encore naturels, rencontrent des freins variés et doivent être encouragés.

L'absence de réalisation technique dans les projets ne signifie pas pour autant que la technique disparaît des actions. Elle reste au cœur des thématiques portées, car c'est notamment là que repose la spécificité des étudiant⋅es ingénieur⋅es. Mais bien avant de mettre en œuvre une quelconque solution technique, leur rôle est de la critiquer et de mettre en avant sa non-neutralité. Elles et ils peuvent ainsi questionner les modèles agricoles ou la souveraineté alimentaire en école d'agronomie, l'eau comme bien commun en école de l'eau, les low-tech et les high-tech en école de mécanique, d'informatique ou d’électronique... Et profiter de la diversité des formations représentées au sein d'Ingénieurs sans frontières pour croiser ces approches, sans oublier d'intégrer les questions politiques et sociales aux enjeux techniques.

Lire d'autres articles de l'Alteractif 89 ici.

1 Charte d’Ingénieurs sans frontières, adoptée en 2002.

2 « Diversifier les formes d'engagement solidaire à l'international », ISF, 2017 (sur le site d’ISF France).

3 février 2020
Élisa Pheng et Théo Robin
Thématique 
Catégorie