Relance minière française : les citoyens ne sont pas les bienvenus !

Depuis juin 2013, l’État français a autorisé des petites entreprises minières, dites « juniors », à rechercher des ressources minérales dans le sous-sol métropolitain sur huit sites [1]. Neuf autres demandes sont en cours d’instruction [2]. Entretien avec Martine Bouchet, vice-présidente du Collectif d’associations pour la défense de l’environnement du Pays Basque et du sud des Landes (CADE).
Signalisation abandonnée dans le bassin minier du Pas-de-Calais
Signalisation abandonnée dans le bassin minier du Pas-de-Calais
Audrey AK - cc - 2009

Une annonce surprenante

Le 11 août 2015, était publié dans le Journal Officiel un « avis de mise en concurrence pour une demande de permis exclusif de recherche (PER) de mines d’or et de substances connexes », c’est-à-dire une procédure préalable à une demande de permis de recherche. Il s’agit du permis dit « Kanbo » convoité par la société française Sudmine [3]. « Ce sont les camarades du collectif breton Douar Didoull qui nous ont prévenus, l’information n’était disponible nulle part dans la région… On ne lit pas le Journal Officiel chaque matin ! » explique Martine Bouchet. C’est ainsi que le CADE a découvert que Sudmine convoitait des gisements aurifères dans les environs d’Itxassou.

Les touristes qui affluent dans ce territoire AOP du piment d’Espelette ignorent certainement que le paysage parfois bouleversé n’est pas le fruit de l’évolution naturelle des terrains, mais celui du travail des Romains, qui y ont exploité de l’or alluvionnaire [4]. De plus, seuls quelques natifs de la région ont souvenir d’une exploitation de pyrite [5], située à quelques kilomètres de là et qui aurait fonctionné il y a une cinquantaine d’années. La mémoire minière s’est peu à peu effacée, tout comme les stigmates de ces activités. La population a donc été particulièrement étonnée d’apprendre du jour au lendemain que l’on s’intéressait de nouveau au métal jaune.

Des prises de position précipitées

Dans le contexte législatif et réglementaire incertain actuel [6], le Préfet prend l’initiative de demander avis aux mairies concernées [7]. Ces dernières devront se prononcer à partir d’un dossier allégé, qui ne doit en aucun cas être communiqué au public, à la demande du Préfet. Certains conseillers municipaux témoignent d’ailleurs n'avoir eu accès qu’à une synthèse de 4 pages, rédigée par Sudmine et reçue par courriel. Le CADE finira par récupérer ledit dossier dans lequel il est fait mention de petites exploitations alluvionnaires, semi-industrielles, qui ne nécessiteront pas de traitement physico-chimique ultérieur [8].

La presse locale s’empare rapidement de cette annonce et sollicite activement l’association. « Nous n’avons eu que deux jours pour rédiger un communiqué de presse, et quelques jours de plus pour se former aux enjeux d’une telle exploitation, tout en sollicitant sans cesse les services de la Préfecture pour récupérer les données officielles. Ce n’est pas normal qu’il soit aujourd’hui aussi difficile de se procurer un document public, détenu par la Préfecture ; et que les conseils municipaux aient dû se prononcer, sans pouvoir communiquer avec leurs administrés ! ».

Des méthodes contestables

En l’absence de communications officielles, le CADE se donne donc pour mission d’informer les riverains sur le projet minier afin qu’ils puissent participer de façon éclairée à cette potentielle restructuration de leur territoire : « Notre but est de bien de comprendre les enjeux, les atouts et les risques d’un tel projet et de rendre accessibles ces données au plus grand nombre afin que chacun se fasse sa propre opinion, de façon éclairée ! Finalement, c'est nous qui lançons le débat qui nous a été confisqué par l'administration. »

Le 12 septembre dernier, le CADE prend connaissance de la notice d’impact, document désormais réglementaire, destiné à dresser un état des lieux avant l’installation du projet et à évaluer les ressources et milieux qui pourraient être impactés. Fait intéressant : ce document a été établi par le bureau d’études GéoPlusEnvironnement qui est intimement lié à Sudmine par des employés qui s’investissent ou se sont investis dans les deux structures. Le directeur de Sudmine n’est autre que … le président de GéoPlusEnvironnement.

« C’est une aberration méthodologique ! Quelles indépendance et objectivité peut-on attendre d’une notice d’impact finalement réalisée par le prospecteur lui-même ? » s’interroge Martine Bouchet. En effet, bien que cette façon de procéder ne soit pas illégale, elle interpelle le fait que toute entreprise minière finance l’étude d’impact associée à son projet.

Dans ce document, de nouveaux horizons miniers sont dessinés pour le permis de Kanbo. Sudmine pourrait faire valoir son droit à la reconduction du permis pour rechercher… l’or primaire ! Cette information n’étant pas fournie dans la note de 4 pages susmentionnée, des conseillers n’ont donc émis un avis que sur l’hypothèse d’exploitations alluvionnaires de taille restreinte. Les conséquences potentielles sont pourtant très différentes selon un type de gisement ou un autre ; l’exploitation de l’or primaire requérant généralement des chantiers, en ciel ouvert ou en souterrain, plus grands, des quantités de matériaux transportés plus importantes, une installation de traitement du minerai sur site, etc.

« En plus du manque d’informations que nos concitoyens sont légitiment en droit d’attendre, l’entreprise laisse planer de nombreuses incertitudes sur ce projet : quel type d’exploitation sera mis en œuvre à Kanbo : primaire ou secondaire ? L’or sera-t-il libre ou lié à des sulfures (comme à Salsigne) ? Quelle minéralisation est attendue ? Une unité de traitement s’avéra-t-elle nécessaire pour concentrer le minerai ? etc. Tant que ces questions n’auront pas obtenu de réponses, CADE et les populations locales ne pourront pas se positionner sereinement sur la relance minière de Kanbo. »

Pour vivre heureux vivons cachés

Le cas de Kanbo n’est pas isolé, la grande majorité des collectifs citoyens français mobilisés sur les questions minières ont témoigné à ISF SystExt des situations similaires ces derniers mois, dans la Creuse, dans le Sarthe, en Ariège, dans les Côtes-d'Armor, etc.

Si les industriels et les représentants institutionnels souhaitent que le montage des projets miniers se déroule dans de bonnes conditions, le préalable est de rendre publics tous les documents nécessaires à l’analyse du projet minier et de les diffuser ; en les mettant à disposition en mairie par exemple, ou encore en créant un site internet dédié. Les hypothèses de mise en danger du secret professionnel ne sont pas fondées : la France pourrait s'inspirer, par exemple, de l'Australie où ces publications se font spontanément.

Maintenir ainsi volontairement les populations dans l’ignorance est le meilleur moyen d’entretenir l’inquiétude et les doutes, voire d’exacerber les tensions entre les « pour » et les « contre ». Qui prétendrait pouvoir être favorable à un projet d’aménagement de grande envergure, minier ou non, sans rien en connaître ? Ceux qui fustigent le manque de bienveillance des populations concernées à l’égard des permis déposés sont souvent ceux-là mêmes qui contribuent à l’omerta qui entoure les projets.

Celui qui sait est celui qui a le pouvoir

« Nous avons passé des heures à nous renseigner sur la toile, à contacter des professionnels et malgré tout, rien n’était clair ou sonnait faux ! Nous n’avons pas trouvé un seul document qui présentait simplement les techniques minières et les conséquences potentielles de cette activité. C’est pour cela que nous avons contacté ISF SystExt. » rappelle Martine Bouchet.

En France, les connaissances en techniques minières sont maîtrisées par un nombre restreint de personnes, favorables à une reprise de l’activité minière qui leur semble indispensable, quitte à minimiser ses impacts potentiels. Cette approche orientée et réductrice dessert autant les citoyens que les industriels. Le grand public a aujourd’hui besoin de réapprendre la mine, telle qu’elle est, c’est-à-dire dans toute sa complexité et sa dangerosité. Car l’exploitation minière est risquée et polluante par essence même ; l'assumer, c'est commencer par anticiper les risques associés.

 

[1] En date du 21/10/2015, les permis exclusifs de recherche attribués en Métropole étaient : Loc-Envel (22), Merléac (22), Silfiac (22,56), Tennie (53, 72), Beaulieu (44), Saint-Pierre (49), Villeranges (23) et Beauvoir (03, 63).

[2] En date du 21/10/2015, les demandes en cours d’instruction en Métropole étaient : Lopérec 2 (29), Penlan (29), Dompierre (35), l’Olivet (53), Vendrennes (85), Cressy (71, 58), Bonneval (87, 24), Kanbo (64) et Couflens (09).

[3] La société Sudmine se définit comme une « compagnie minière junior d’exploration et d’exploitation » (Source : site internet de l'entreprise)

[4] Schématiquement, les gisements d’or primaire présentent de l’or en association avec d’autres minéraux, le plus souvent des sulfures métalliques. Par l’action du ruissellement et des cours d’eau principalement, tout ou partie d’un gisement primaire jusqu’alors « enfermé dans la roche » peut être érodé puis transporté. Les matériaux riches en or se reconcentrent ailleurs pour donner un nouveau gisement dit alors « alluvionnaire ». Dans ce cas, l’or n’est plus associé intimement à d’autres minéraux, mais est réparti dans une matrice composée de produits d’érosion des roches (sables, graviers, etc.).

[5] La pyrite est un sulfure de fer, notamment exploité, dans le passé, pour la production d’acide sulfurique.

[6] La réforme du Code Minier a officiellement été annoncée par le Premier Ministre le 5 juillet 2012. Depuis cette date, des commissions parlementaires se sont tenues, des annonces ont été faites par les représentants du gouvernement, une consultation publique a été réalisée en avril 2015, etc. Pour autant, le Code Minier n’a toujours pas été débattu à l’Assemblée Nationale et nul ne sait exactement quand une nouvelle proposition pourra être votée.

[7] Le Code Minier en vigueur ne requiert pas une consultation des mairies concernées lors de la publication de l’avis de mise en concurrence ; mais plus tard, lors de la demande de permis de recherche. Cette démarche du Préfet est donc une initiative volontaire.

[8] Les exploitations d’or alluvionnaires peuvent ne pas nécessiter une unité de traitement du minerai conséquente, si ce n’est des petites installations de lavage et de séparation gravimétrique (l’or étant beaucoup plus dense que la gangue qui le contient).

20 décembre 2015
ISF SystExt
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